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Nouveaux matériaux pour la construction de demain

Construire en terre crue, une véritable avancée ?

Parfois plus connue sous les noms d’adobe, de pisé, de torchis, ou encore de briques compressées, la terre crue est utilisée comme matériau de construction depuis des siècles dans le monde entier ! Bien qu’elle ait été délaissée au profit du béton et de l’acier, on estime aujourd’hui que plus de la moitié de la population mondiale vit dans une habitation en terre crue [2]. Disponible localement et en grande quantité, elle nécessite très peu d’énergie pour être transformée. En plus de sa faible énergie grise (énergie nécessaire à l’extraction des matières premières, à la fabrication et au transport des produits), la terre crue offre plusieurs avantages :  elle a la capacité de réguler le taux d’humidité dans l’air intérieur grâce à son aptitude à retenir ou non l’eau à sa surface selon les conditions climatiques et présente une forte inertie thermique qui permet de préserver la température interne lors par exemple d’épisodes de canicule. Ces propriétés, qui sont dites hygrothermiques, permettent aux bâtiments en terre crue d’être plus confortables et sobres énergétiquement [3].

Malgré ces points positifs, le matériau présente tout de même des limites. Manque de résistance et sensibilité au contact d’eau liquide, il est nécessaire de le renforcer par l’ajout de ciment ou de chaux, au détriment de son empreinte carbone [4].

Mais quels produits alternatifs issus de sous produits agricoles renforceraient la terre crue sans pour autant altérer ses capacités ? C’est la question que Céline Perlot, la responsable de l’équipe de recherche GS, s’est posée et qui lui a valu d’être lauréate, en octobre 2021 de l’Institut Universitaire de France, au titre de l’innovation scientifique.

Repartir des bases avec une nouvelle méthodologie

Lorsque l’on fabrique des biens, on produit de manière inévitable des résidus, que l’on appelle des sous-produits. Réutiliser ces sous-produits est une forme de revalorisation des déchets : au lieu de jeter des éléments dont on ne se sert pas, on leur offre une seconde vie en les réemployant dans de nouvelles conceptions, permettant ainsi des économies de matières premières, et par extension, une diminution des impacts environnementaux. L’équipe GS travaille sur ces approches. Recréer du béton neuf, à base de granulats de béton issus de structures démolies, ou encore à base de coquilles d’huîtres à la demande du syndicat de conchyliculture du Bassin d’Arcachon en partenariat avec le laboratoire LFC-R de l’UPPA , voici des exemples de méthodes qui sont développées dans ces recherches. Partant d’objectifs simples, réduire les quantités de déchets, palier à des carences de matières premières, ou encore, économiser des ressources ; ces travaux restent néanmoins complexes et les ont amenés à travailler en collaboration avec d’autres équipes. Remployer des sous-produits nécessite de la minutie, car comme en cuisine, une variation de dosage peut mener à un produit final différent. Les matériaux n’étant pas les mêmes, les propriétés physiques et chimiques non plus, cela implique de comprendre les différences de comportements pour adapter les formulations et garantir leurs performance

Utiliser un sous-produit laineux, un projet ambitieux !

En partenariat avec le centre de ressource technologique Nobatek/INEF4, l’équipe de Céline Perlot a voulu développer un nouveau matériau de construction pour le bâtiment à faible taux carbone à base de terre crue. Afin d’en tirer profit au maximum, ils ont eu l’idée de créer des plaques qui pourraient substituer celles de plâtre traditionnel dans les bâtiments. Dans l’objectif de renforcer le produit et d’assurer la solidité des plaques sans en augmenter l’épaisseur, une solution a été trouvée : le Manech. En effet, la laine de ce charmant ovin qui produit le lait pour le fromage basque n’étant pas utilisable pour le filage textile, des montagnes de laine s’entassent chez les producteurs en attendant qu’il leur soit trouvé une utilité ! Après de multiples expérimentations sur les quantités et les volumes de fibre à intégrer à la terre afin de trouver la meilleure combinaison entre solidité, régulation de la température et de l’humidité ; Céline Perlot et son équipe ont pu établir que le suint, la graisse présente sur la laine non traitée et non lavée, permettait de stabiliser les feuillets d’argile de la terre crue, et ainsi d’obtenir le matériau le plus performant. Un poids de moins dans la balance environnementale avec une économie d’eau de lavage de la laine et la suppression d’étapes dans le processus de préparation des plaques !

Après la conception est venue la phase de prototypage afin de valider leur concept. Pour passer des échantillons de 20 cm créés en laboratoire à de grandes plaques, l’équipe a fait appel à une industrie possédant une presse hydraulique adaptée à leurs besoins. Grâce à cette machine haute de deux étages, ils ont pu fabriquer plusieurs plaques de 60 cm² et de 2,5 cm d’épaisseur, dont les performances seront validées par comparaison avec les échantillons de laboratoire, selon les propriétés physiques, chimiques, les besoins en manutention et la mise en œuvre dans le système constructif complet.

Les recherches pour la meilleure combinaison possible ne s’arrêtent pas là ! Une fois la structure des plaques renforcées par la laine de manech, les chercheurs se sont penchés sur le moyen de réduire la sensibilité à l’eau du matériau, tout en préservant ses capacités hygrothermiques. Pour cela, ils ont étudié les moyens de renforcer les feuillets d’argile de la terre et ont réussi à mettre au point deux méthodes efficaces : la première à l’aide de biopolymères, de grandes molécules organiques provenant de plantes comme la gomme de Guar ou de Xanthane [5], traditionnellement utilisés dans l’agroalimentaire comme gélifiants ; et la seconde à partir d’une enzyme extraite de simple graines de soja qui possède la capacité de transformer l’urée et le calcium présents dans la terre en calcite [6].

Quelle règlementation pour ces nouvelles techniques ?

Pour la plupart des produits innovants bio ou géosourcés, il n’existe pas de règlementation spécifique en France, ce qui a pour effet de freiner la diffusion des techniques de construction. Pour faire évoluer les choses, l’équipe GS prend part à des comités techniques internationaux et à des réseaux de recherche, comme le Projet National Terre (PNT), qui vise à rédiger des textes et recommandations pour aller vers la normalisation de la construction en terre crue. Pour cela, il faut savoir bien identifier et décrire les mécanismes internes à différentes échelles : celles du matériau, des produits et de leur assemblage, et finalement des structures ; pour savoir modéliser, simuler et prédire leurs comportements. Ceci nécessite l’acquisition de nombreuses données et connaissances scientifiques. Ainsi, dans l’axe de la sécurité incendie du PNT animé par Céline Perlot, différents échantillons de matériaux en terre crue sont soumis à de hautes températures, équivalentes à des situations d’incendie, pour évaluer la sensibilité des mélanges en fonction de leur teneur en eau, de la nature des argiles ou de la nature des fibres. Une fois les phénomènes identifiés, les chercheurs développeront des modèles pour la simulation qui seront validés par des essais à grande échelle. Cerner le domaine de stabilité des matériaux et proposer des outils de simulation permet d’aider les bureaux d’études à établir les dimensions les plus optimales à l’usage des nouveaux matériaux dans le bâtiment afin d’obtenir la validation des bureaux de contrôle.

La recherche ne s’arrête pas là !

Maintenant que des connaissances scientifiques ont été établies sur les différents moyens de stabiliser la terre crue, le but est désormais d’adapter la composition des matériaux selon leurs usages : régulation thermique à l’intérieur des bâtiments, résistance d’un mur porteur soumis à des intempéries, etc. Finalement, le bon matériau, c’est celui qui est adapté à une fonction et un usage, et qui utilise les ressources locales. La recette universelle n’existe pas, c’est pourquoi les travaux sont orientés sur une méthodologie d’optimisation des formules, en développant une approche mêlant technique et environnement.

A partir des résultats de ces recherches, il a été possible d’imaginer que, puisque les matériaux à base de terre crue présentent un fort potentiel d’adsorption d’humidité, ils pourraient contribuer à réguler la qualité de l’air à l’intérieur des bâtiments, en retenant les polluants gazeux comme le CO2, ou les composés organiques volatiles. C’est dans le but d’évaluer ce potentiel que l’équipe GS s’est rapprochée d’une équipe de chercheurs en chimie analytique de l’UPPA spécialisée dans la mesure des polluants. En listant les mécanismes physico-chimiques pouvant se dérouler dans la terre crue par similitude avec d’autres matériaux, ils élaborent des dispositifs expérimentaux qui permettront de valider leurs hypothèses.

Développer de nouveaux matériaux c’est une chose, démocratiser leur utilisation en est une autre

Si les futurs usagers ne sont pas convaincus par la construction de bâtiments en terre crue, il y a peu de chances que les techniques développées soient largement utilisées. Pour faire pencher la balance du bon côté, il est important de démontrer la durabilité des produits développés : l’absence d’érosion ou de production de poussière, ou encore le maintien de l’apparence et de la teinte sont des points permettant l’adhésion du public au matériau. Mais si ces points sont démontrés, il faut aller plus loin pour rassurer les usagers. Pour cela, des projets de recherche sont menés, visant à quantifier le confort hygrothermique, mais aussi les aspects psycho-sensoriels par l’apparence visuelle des solutions proposées. Finalement, c’est par une enquête géo-sociale permettant de mesurer la satisfaction et le ressenti des occupants de bâtiments déjà existants en terre crue, que l’étude visant à convaincre de futurs usagers sera complétée.

Dans leur volonté de relever les défis imposés par le changement climatique, c’est grâce à leur approche transdisciplinaire, via la collaboration avec d’autres équipes de chercheurs et la mise en commun des savoirs et des expertises, que Céline Perlot et son équipe envisagent leurs recherches aujourd’hui.

Bibliographie

[1] United Nations Environment Programme, Global Alliance for Buildings and Construction, 2020 Global Status Report for Buildings and Construction: Towards a Zero-emissions, Efficient and Resilient Buildings and Construction Sector - Executive Summary, 2020 [https://wedocs.unep.org/handle/20.500.11822/34572;jsessionid=37EBC46D5A3046C3E7EEFC8D07AA715E].

[2] GANDREAU David, DELBOY Leticia, CRATerre-ENSAG (France), JOFFROY Thierry (dir.), Patrimoine mondial : inventaire de l’architecture de terre, Paris, Unesco, coll. WHEAP. Programme du patrimoine mondial pour l’architecture de terre, 2012 [https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000217037].

[3] FABBRI Antonin, MOREL Jean-Claude, AUBERT Jean-Emmanuel, BUI Quoc-Bao, GALLIPOLI Domenico, VENKATARAMA Reddy B.V., Testing and Characterisation of Earth-based Building Materials and Elements. State of the Art Report of the RILEM Technical Committee 274-TCE, Springer, 2022.

[4] VENKATARAMA Reddy B.V., PRASANNA KUMAR P., « Embodied energy in cement stabilised rammed earth walls », Energy and Buildings, 2010, n° 42(3), p. 380-385 [http://dx.doi.org/10.1016/j.enbuild.2009.10.005].

[5] MUGUDA Sravan, LUCAS George, HUGUES Paul N., AUGARDE Charles E., PERLOT-BASCOULES Céline, BRUNO Agostino W., GALLIPOLI Domenico, « Durability and hygroscopic behaviour of biopolymer stabilised earthen construction materials », Construction and Building Materials, 2020, n° 259 [http://dx.doi.org/10.1016/j.conbuildmat.2020.119725].

[6] SAIF Ahsan, CUCCURULLO Alessia, GALLIPOLI Domenico, PERLOT-BASCOULES Céline, BRUNO Agostino W., « Advances in Enzyme Induced Carbonate Precipitation and Application to Soil Improvement : A Review », Materials, janvier 2022, vol. 15, n° 3 [http://dx.doi.org/10.3390/ma15030950].

Modifié le 02/12/2024

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