L’observation est une étape à ne pas négliger en sciences et Susana Fernandes l’a bien compris. D’une personnalité curieuse, c’est en observant la nature depuis son plus jeune âge qu’elle à commencé à s’intéresser au biomimétisme, et plus particulièrement au biomimétisme marin auquel elle voue sa carrière. Avec l’équipe de la Chaire de recherche partenariale Manta (MAriNe maTeriAls), qu’elle dirige, elle travaille sur le développement de nouveaux matériaux réduisant l’impact sur l’environnement marin. Pour atteindre ces objectifs, la chaire travaille sur deux approches : celle utilisant des matériaux des ressources d’origine marines, les biosourcés, et celle inspirés de modèles marins, les bio-inspirés.
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La bio-inspiration, un nouveau jargon ?
Imiter la nature, voilà de quoi il est question. En observant les poissons, les méduses et toutes les autres formes de vie marine, Susana s’évertue avec son équipe à créer des biomatériaux qui possèderont les mêmes propriétés (ou très proches) que celles qu’elle peut observer dans la nature. Mais pour imiter cette nature il faut d’abord la comprendre. C’est en se questionnant sur la manière dont les poissons arrivaient à se protéger naturellement des rayons UV du soleil (sans utiliser, comme nous, des vêtements ou des filtres solaires), qu’elle a remarqué qu’ils arrivaient à avoir naturellement des molécules présente dans des algues marines et possédant des propriétés anti-UV. Bien que les chercheurs ne comprennent pas encore par quel mécanisme cela est possible, ils remarquent que l’on peut retrouver ces particules dans le mucus et dans les yeux des poissons. A partir de ces observations leur est venue l’idée d’extraire cette molécule directement des algues, afin de pouvoir l’utiliser dans la conception de matériaux, comme des gels ou des membranes, qui pourraient ainsi profiter de ces propriétés d’absorption des UV (1). Dans le cadre d’une collaboration avec le Laboratoire de Biarritz, spécialisé dans les cosmétiques, ces nouveaux matériaux pourront être utilisés dans la formulation de leurs produits afin qu’ils bénéficient de nouvelles caractéristiques.
La bio-inspiration repose ici sur l’imitation de la compétence acquise par les poissons grâce aux algues.
Des matériaux biosourcés issus de sous-produits
Dans le règne animal, plusieurs espèces possèdent des caractéristiques similaires, susceptibles d’intéresser les chercheurs. Par exemple, l’étude au microscope des molécules qui composent la carapace des crustacés a permit d’établir qu’il existait des similitudes au niveau architectural avec celles qui composent nos propres tissus. C’est une molécule, la chitine, qui garantie l’organisation et la structure des carapaces, un peu de la même manière que la cellulose structure le tronc des arbres. Il est possible d’imaginer des applications pour des reconstructions osseuse en médecine réparatrice à partir de cette molécule, et le meilleur moyen d’en produire reste de la prélever directement dans les carapaces et coquilles qu’elle compose. Parallèlement, les crustacés ne sont pas les seuls à posséder dans leur composition des éléments susceptibles d’intéresser les chercheurs. A partir de la peau des poissons, il est également possible de récupérer du collagène, une protéine présente également dans l’ensemble de nos propres cellules, assurant l’élasticité et la régénération de nos tissus, mais dont les quantités diminuent lorsque nous vieillissons ; ainsi que de l’acide hyaluronique, une molécule qui joue sur la multiplication et la migration des cellules. Ces différents éléments sont recherchés pour leur application en médecine ou leur utilisation dans des produits cosmétiques.
Mais pour atteindre les objectifs de l’équipe de recherche, il faut pouvoir se les procurer en réduisant l’impact l’environnemental. Pour cela, Susana Fernandes à pu créer un partenariat avec le comité des pêches des Pyrénées Atlantiques au Pays basque, afin d’utiliser les sous-produits issus de la pêche. Le secteur halieutique, comme toute activité, amène à la production de déchets. Ecailles, peau, arrêtes ou encore têtes de poissons ne sont pas utilisées lors de la consommation et finissent bien souvent par servir dans la production de farine alimentaire animale. En récupérant ces déchets pour en extraire les éléments souhaités à l’aide d’une chimie verte, limitant la production de substances néfastes, l’équipe de recherche à trouvé un nouveau moyen de les valoriser au maximum, pour créer de nouveaux biomatériaux, sans avoir à impacter de nouvelles populations d’organismes vivants (2-3).
Les recherches sur des éléments bio-inspirés et bio-sourcés ont vocations à être utilisés dans la conception de biomatériaux. Ces nouveaux matériaux trouvent leurs applications en médecine régénérative, mais qu’est-ce cela signifie concrètement ?

De nouveaux matériaux pour de nouvelles applications
La médecine régénérative est un domaine de recherche médical visant à réparer ou régénérer des tissus du corps humain ayant subi des détériorations. Tissus, muqueuses, organes ou encore os, les applications sont aussi variées que les besoins en la matière. S’il existe d’ores et déjà des techniques se basant sur l’utilisation de matériaux d’origine bovine, porcine ou encore de corail, leur évolution et leur développement est nécessaire afin de palier aux différents risques qui peuvent survenir. Infections, rejets et inflammation avec œdèmes douloureux, sont des complications classiques à la suite d’une intervention médicale. Le choix du bon matériau est ici déterminé par celui qui saura limiter au maximum ce type de complications. Parallèlement, dans le cas d’implantation de matériaux, comme des fragments d’os, de céramiques ou de coraux, servant à palier des dégradations de matière chez un patient, l’objectif est de trouver un matériau qui pourra se résorber progressivement dans le temps. Ceci permettrait à l’os de se redévelopper à la place, et ainsi, de retourner au stade initial avant l’apparition de la dégradation. Dans cette perspective, un projet de recherche est développé depuis deux ans, dans le cadre d’une thèse portée en cotutelle entre l’UPPA et l’université du Pays Basque (EHU/UPV) en Espagne. L’objectif : développer des biomatériaux pour aider à la réparation d’un os de la mâchoire, l’os maxillaire, à base de nanofibres de chitine. Loin d’une notion de transhumanisme, les matériaux développés grâce à ces techniques n’apporteront pas de nouvelles capacités à leurs hôtes, mais ont pour visée finale de restaurer les facultés physiques des patients. Malgré cela, l’acceptation est parfois difficile pour les patients qui demandent de plus en plus des matériaux n’étant pas d’origine animale, et plus particulièrement d’animaux d’élevage industriel.
Dans ce contexte, les travaux de Susana et de son équipe, autour de la fabrication de biomatériaux issus de la valorisation des déchets de la pêche, prennent une nouvelle dimension dans le processus d’acceptation des matériaux de la part des patients (4-6).
