
Les logements vacants représentent un casse-tête qui est parfois difficile à résoudre. Alors que l’offre en logements est inférieure à la demande dans bien des territoires, de nombreux lieux habitables restent vides sans que l’on puisse se les réapproprier pour les remettre sur le marché.
En 2021, l’État français a lancé un plan national de lutte contre les logements vacants. Une base de données spécifique sur le logement vacant (Lovac), ainsi que l’outil « Zéro logement » pour avoir un suivi sur les situations ont été créés pour les collectivités. Mais ces outils restent à ce jour insuffisants, et l’identification des logements vacants demeure une affaire complexe.
De plus, il ne s’agit pas seulement d’identifier les logements vacants d’un territoire, mais aussi de savoir comment en faire la meilleure réutilisation possible, dans un contexte de développement où les ressources doivent être utilisées de manière raisonnées. La gestion des logements vacants devient donc un enjeu crucial à l’échelle des collectivités.
D'abord, qu'est-ce qu'un logement vacant ?
Ce n’est pas parce qu’un logement a l’air inoccupé, vu de l’extérieur, qu’il est forcément vacant ! Les propriétaires peuvent être en vacances, ou absents pour une longue durée, ou bien avoir mis leur bien en travaux... Il peut également s’agir d’une résidence secondaire, seulement utilisée quelques semaines à l’année, et inoccupée le reste du temps... Nombreux sont donc les cas de figure où un logement en apparence vacant n’en est pas vraiment un. Il faut alors définir précisément ce qui rentre dans l’appellation « logement vacant ».
Selon l’Insee [1], un logement est vacant s’il est inoccupé et proposé à la vente ou à la location, ou bien déjà attribué à un acheteur ou un locataire et en attente d’occupation ; le logement peut aussi être en attente de règlement de succession, ou bien sans affectation précise par le propriétaire (logement vétuste, etc.). Seulement, cette définition de l’Insee ne recouvre en fait pas tous les cas de figure. La vacance étant une donnée qui s’appuie sur les déclarations des propriétaires aux impôts, il peut exister des situations ambiguës non comptabilisées, comme des logements inoccupés depuis plusieurs années, avec un état de dégradation avancée, tout de même déclarés en résidence principale ou secondaire et donc non comptabilisés comme vacants dans les données officielles.
Aller regarder au plus près sur les territoires pour mieux cerner le problème de la vacance
Face à la difficulté d’identifier précisément un logement vacant, Charline Sowa et Hugo Bruyant sont partis du principe qu’il fallait passer « de la statistique au terrain ». C’est-à-dire, aller directement identifier sur les territoires les logements pouvant être considérés comme vacants, avec l’aide des élus locaux. Une étude a donc été menée sur la collectivité de Montluçon communauté (Allier) [2] , qui englobe 21 communes et est aujourd’hui considérée comme un territoire rural, vieillissant et en décroissance urbaine. Seulement, les acteurs locaux n’avaient en réalité pas bien connaissance du profil des biens vacants sur leur intercommunalité.
Après avoir analysé les logements sur le terrain, et constaté que les profils de logements vacants étaient bien plus variés que la seule définition de l’Insee ne le laissait penser, Charline Sowa et Hugo Bruyant sont parvenus à une proposition pour redéfinir le logement vacant, et ainsi pouvoir mieux en saisir les enjeux et trouver des solutions. À l’issue de l’étude, le « logement vacant » a été défini, en accord avec les élus locaux, comme un bien déclaré « inoccupé » d’un point de vue administratif, mais avec des conditions particulières. Le bien doit être dans une situation « de transition », c’est-à-dire qu’il est encore habitable, avec une rénovation possible. Les bâtiments en ruine, inhabitables car dans une dégradation avancée, sont sortis de cette définition, et doivent donc être considérés par les élus locaux comme une problématique à part entière (par exemple, une ruine peut devenir une ressource en matériaux comme une ressource foncière).

Par ailleurs, les observations sur le terrain ont aussi montré d’autres formes d’inoccupation des logements plus complexes à comptabiliser. Les élus ont fait part de biens inoccupés se dégradant, avec une impossibilité d’action du fait de leur statut. C’est par exemple le cas des résidences secondaires inoccupées depuis plusieurs années, avec des propriétaires qui ne sont plus en capacité physique d’occuper et d’entretenir le bien (pour cause de vieillesse, d’éloignement géographique ou de moyens insuffisants) ; ou bien de résidences principales déclarées comme occupées, mais qui dans les faits sont inoccupées du fait d’un départ en maison de retraite. Dans ces deux cas, les élus locaux ne peuvent pas agir sur ce type de logement vacant, car ils conservent un statut juridique de logement non vacant.
Quelles solutions trouver pour réemployer les logements vacants ?
La solution la plus évidente pour pouvoir réinsérer les logements vacants dans le parc immobilier et ainsi pourvoir la demande en logements est de les rénover. Le bien vacant étant considéré comme encore habitable, une rénovation est possible, mais la remise en état peut parfois coûter très cher notamment s’il n’a pas été utilisé depuis longtemps (mise aux normes, coût des matériaux...).
Se pose alors la question de la meilleure réutilisation des logements vacants : pour chaque type de bien, la solution ne va pas être la même, il faut adapter la réponse au profil du logement. Avec l’étude sur la communauté de communes de Montluçon, Charline Sowa et Hugo Bruyant ont déterminé qu’une connaissance « la plus fine possible » du terrain et des situations particulières est déterminante pour identifier les leviers d’actions à activer. Ces leviers – principalement la rénovation pour remettre le bien en état, mais aussi la déconstruction qu’il faut considérer – doivent conduire soit à la remise sur le marché des biens auparavant vacants, soit à leur déconstruction pour libérer de l’espace au niveau foncier. Cet espace peut servir à dédensifier une ville ou une zone bâtie, à reconstruire de nouveaux bâtiments plus conformes aux normes actuelles, ou bien même apporter de nouveaux usages dans l’espace public (parcs, jardins d’enfants, potager, ferme solaire...) ou à redonner sa place à la nature sur un terrain donné.
En l’absence de ces connaissances de terrain, il est quasiment impossible pour les élus d’avoir une visibilité claire de la situation et d’agir en connaissance de cause avec les méthodes et les outils adaptés ; d’où l’importance d’individualiser les connaissances en fonction du terrain.
La déconstruction, une solution pour remodeler l'espace urbain et lutter contre les logements vacants
Si la construction est au centre de l’aménagement urbain, il faut désormais penser aussi la déconstruction comme un acte d’aménagement à part entière. En effet, la déconstruction peut participer, au même titre que la construction, à la fabrication de la ville [3], et d’autant plus dans des zones en décroissance qui connaissent une augmentation des logements vacants.

Avant l’étude menée à Montluçon, Charline Sowa s’était penchée sur le cas de deux villes allemandes en décroissance : Dessau et Halle, dans le Land de Saxe-Anhalt [4], dans l’est du pays. Leur décroissance a amené mécaniquement la vacance, à mesure que les habitants quittaient la ville pour aller s’installer ailleurs ; pour pallier ce problème, ces deux villes ont adopté deux stratégies de restructuration urbaine différentes, mais toutes deux basées sur la déconstruction plutôt que sur la réhabilitation, en tenant compte de leur attractivité.
La ville de Dessau a choisi de déconstruire les logements vacants et anciens sites industriels situés au centre de la ville pour en faire une nouvelle sorte d’espace public, un large « corridor » qui sépare la ville en deux. Dans ce corridor, plusieurs parcs publics ou espaces de relaxation et de récréation ont été aménagés par la ville, aux côtés d’espaces laissés volontairement en friche, pour que la nature y reprenne ses droits. Cette réappropriation de l’espace par la déconstruction permet une nouvelle conception des zones urbaines, qui profite aux habitants ayant accès à des espaces verts qu’ils n’avaient pas avant.
La ville de Halle a, quant à, elle décidé de déconstruire des logements et des bâtiments vacants en périphérie, afin de réduire l’étalement d’une ville n’ayant pas besoin d’autant de terrains à bâtir. Ces espaces déconstruits ont été comme « libérés », et rendus à la nature, sans perspective de reconstruction. Certains secteurs ont ainsi été transformés en prairie ou en forêt urbaine. Cette stratégie permet donc d’envisager une « désoccupation » progressive de l’espace, afin de n’occuper et de ne construire qu’en fonction des besoins réels de la population.
Si l’on revient à l’exemple de la communauté de communes de Montluçon, tous les logements identifiés comme vacants ne pourront sans doute pas être réhabilités et remis sur le marché du logement. La déconstruction de certains biens permettrait alors d’offrir de nouvelles opportunités d’aménagement urbain, comme la création de parcs publics, ou bien la renaturation complète de certaines zones. Si elle est envisagée comme un outil d’aménagement urbain à part entière, elle devient donc cruciale pour la conception des villes de demain, car elle permet d’envisager une pratique plus raisonnée de l’urbanisme qui collerait mieux aux besoins. La déconstruction contribuerait à réduire le gaspillage de ressources (matériaux, foncier...) tout en pouvant stimuler l’économie locale, même de manière temporaire, à travers la création d’un marché du recyclage des matériaux.
Penser les logements vacants comme une ressource plutôt que comme un poids pour les territoires
Si le premier problème que posent les logements vacants reste leur identification difficile, et la pluralité des cas particuliers auxquels peuvent être confrontés les acteurs locaux, des réflexions émergent pour mettre en lumière ces difficultés et y apposer des solutions. Par exemple, avoir un meilleur suivi à l’échelle locale plutôt que de s’appuyer sur de simples bases de données permettrait de mieux appréhender les spécificités d’un territoire donné. Car la bonne connaissance du bâti, de sa localisation et de sa capacité de mutation sont des critères essentiels pour pouvoir apporter les réponses adaptées.
La diversité des cas de logements vacants appelle une pluralité de solutions pour se réapproprier ces bâtiments, qui doivent être vus comme des ressources pour les communes, notamment dans un contexte marqué par la montée des enjeux de sobriété foncière autour de l’objectif « zéro artificialisation net » (ZAN). Ces logements peuvent soit être rénovés, réhabilités et remis sur le marché pour faire face à la demande, soit servir différemment, par exemple en étant déconstruits pour récupérer de l’espace foncier ainsi que des matériaux, en recyclant ce qui peut être recyclé.
Ce potentiel de déconstruction amène une nouvelle vision de l’aménagement urbain, plus raisonné et ainsi plus compatible avec les enjeux actuels d’économies de ressources. En s’appuyant sur une stratégie urbaine concertée, avec de vrais projets de renouvellement urbain, la déconstruction des logements vacants permet de redonner sa place à la nature, et aussi de limiter la pression urbaine sur le foncier. Construire moins, mais plus intelligemment : c’est ce qui permettra aussi à moyen ou long terme de lutter contre les futurs logements vacants.