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La chicorée, un remède pour assainir les sols viticoles

Largement utilisée en viticulture depuis la fin du xixe siècle, la bouillie bordelaise – mélange de sulfate de cuivre et de chaux éteinte – permet de lutter contre le mildiou et l’oïdium, deux champignons qui se développent sur la vigne depuis des décennies. Or, en dépit de la réglementation de 2018 visant à réduire les quantités à ne pas dépasser (4 kg de cuivre en moyenne par hectare et par an), le cuivre, toxique en trop grande quantité pour les organismes et micro-organismes vivant dans le sol, continue de s’accumuler et de le contaminer.

Vitalicuivre pour dépolluer les sols

Dans ce contexte, le projet Vitalicuivre a expérimenté sur ces sols « pollués » au cuivre la culture de diverses plantes connues pour leur capacité à l’extraire, telles que l’avoine, le chanvre, la chicorée, la moutarde brune, le ray-grass, le sarrasin et le tournesol.

Lors d’une première expérimentation réalisée en conditions contrôlées, en hydroponie, les plantes dont les racines étaient plongées dans de l’eau enrichie en cuivre, ont absorbé tout le cuivre présent dans l’eau. Celui-ci s’est surtout accumulé dans les racines mais également dans les parties aériennes (tiges, feuilles). Exposées à la plus forte concentration de cuivre (280 μM), toutes les plantes, sauf le ray-grass et le sarrasin, ont cependant présenté une réduction de croissance. La moutarde brune a le moins bien toléré la forte concentration en cuivre.

Une seconde expérimentation a été faite sur le terrain, deux années de suite, en 2022 et 2023, dans des vignes au sud de Saumur, en Anjou, et dans le secteur des Mauges. Ces mêmes plantes ont été cultivées dans l’inter-rang des vignes, avec pour objectif de réduire la quantité de cuivre présent dans le sol. L’année 2022, exceptionnellement sèche, a fortement compromis le développement des espèces semées, à la différence de l’année 2023 caractérisée par une pluviométrie très importante, où elles ont mieux poussé.

La chicorée capable d'extraire le plus de cuivre

En 2023, c’est globalement le sarrasin qui a concentré le plus le cuivre. Mais en termes de rendements de phytoextraction (de quantité de cuivre extrait), la chicorée a donné de meilleurs rendements, notamment parce qu’elle présente l’avantage d’être intégralement récoltable (parties aérienne et racinaire), à la différence des autres espèces. Pour autant, les résultats, à ce stade de l’étude, sont insuffisants puisque les quantités de cuivre extraites du sol par phytoextraction ne représentent qu’une infime partie des quantités de cuivre épandues par les viticulteurs pour lutter contre le mildiou (à peine 10 %). Il reste donc près de 90 % de cuivre dans le sol après l’expérimentation.

Les résultats de ces deux années sur le terrain ont révélé que les quantités de cuivre extraites par les plantes sont largement inférieures à celles obtenues en conditions contrôlées. Les plantes cultivées en hydroponie ont capté la majorité du cuivre présent dans l’eau tandis que ces mêmes plantes cultivées sur le terrain n’ont extrait qu’un dixième du cuivre présent dans le sol. Ce qui signifie donc que le cuivre du sol n’est que partiellement mobilisable (essentiellement celui présent dans l’eau du sol) : en effet, les particules d’argile et la matière organique le retiennent plus fortement que la plante n’est capable de l’extraire.

Un projet unique et novateur

La chicorée qui accumule plus de cuivre que les autres plantes parce qu'elle peut être intégralement récoltée, présente le double avantage de pouvoir dépolluer les sols et de servir de nutriment pour le bétail. Ce qui, en raison de l’enrichissement en cuivre de la chicorée, présente un bienfait supplémentaire pour leur santé. Cette alternative novatrice qu’est la chicorée enrichie en cuivre ne semble pas avoir été utilisée ailleurs dans le monde. Elle pourrait permettre de réduire l’exploitation des mines de cuivre. Outre le fait de pouvoir réutiliser le cuivre en alimentation animale, la chicorée pourrait aussi servir à refaire de la bouillie bordelaise (ou un produit équivalent).

Quant aux vignobles destinés à être arrachés de manière définitive, du fait de la baisse de la consommation de vin en France et dans le monde, ils pourraient être remplacés par d’autres plantes, comme la chicorée, destinées à dépolluer leur sol. De fait, les viticulteurs en agriculture bio n’ont pas d’autre alternative, pour le moment, que l’utilisation de la bouillie bordelaise pour lutter contre le mildiou. Toutefois, réduire davantage les doses et essayer de compenser cet apport de cuivre en l'extrayant à nouveau du sol, peut contribuer à limiter l’enrichissement des sols en cuivre.

Enfin, une Analyse du Cycle de Vie (ACV), méthode d’évaluation environnementale pour, entre autres, quantifier les effets de procédés de dépollution, a été appliquée à la phytoextraction du cuivre et à sa valorisation en alimentation animale. Comparé à la situation où l’on ne ferait rien, le bilan n’est pas systématiquement favorable. Car la phytoextraction entraîne une consommation supplémentaire de carburant pour la culture des plantes et un équipement spécifique de récolte. Par ailleurs, les répercussions du transport des plantes, une fois récoltées, ne sont pas compensés par le bénéfice associé à la substitution du complément en cuivre (cuivre des plantes au lieu de celui des mines). Ce bilan peut varier selon les années climatiques, le cours du cuivre et des carburants, et selon que les plantes enrichies en cuivre sont valorisées ou non localement en alimentation animale. Enfin, il est à noter que, comparée à d’autres méthodes (physiques, chimiques) de dépollution des sols classiquement utilisées, la phytoextraction reste probablement une des solutions qui provoquent le moins de conséquences négatives.

Financeurs : Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) et Région des Pays de la Loire.

Bibliographie

[1] Cundy A.B., Bardos R.P., Puschenreiter M., Mench M., Bert V., Friesl-Hanl W., Müller I., Li X.N., Weyens N., Witters N. et Vangronsveld J. (2016), « Brownfields to green fields: Realising wider benefits from practical contaminant phytomanagement strategies », Journal of Environmental Management, Sustainable Remediation, 184, p. 67-77. DOI : https://doi.org/10.1016/j. jenvman.2016.03.028

[2] Karimi B., Masson V., Guilland C., Leroy E., Pellegrinelli S., Giboulot E., Maron P.-A. et Ranjard L. (2021), « Ecotoxicity of copper input and accumulation for soil biodiversity in vineyards », Environ Chem Lett, 19, p. 2013-2030. DOI : https://doi.org/10.1007/s10311-020- 01155-x

Modifié le 21/02/2025

DOI: https://doi.org/10.59655/nl52122995492