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La cosse des grains de riz : déchet ou matière première

Parmi les plus gros déchets générés par l’agriculture figurent ceux provenant des plants de riz, en particulier des cosses qui entourent les grains, appelées balles de riz. Ces dernières sont le principal sous-produit, ou résidu, de l’industrie de la minoterie du riz. La production mondiale de cette céréale est estimée à près d’un milliard de tonnes par an, générant lors de l’étape de mouture, 170 millions de tonnes par an de balle de riz [4]. Cependant, la teneur en protéines de cette biomasse résiduelle abondante n’étant pas suffisante pour les usages agricoles, comme nourriture ordinaire pour le bétail, et leur forte composition en matière inorganique ne les rendant pas facilement décomposables par les bactéries, la plupart de ces résidus finissent brûlés ou enfouis [13].

Comment ces sous-produits pourraient-ils être utilisés de manière plus durable ?

La balle de riz séchée est constituée d’environ 15 à 28 % de silice, de 72 à 85 % de lignocellulose – un mélange de matière organique –, d’environ 4 % de protéines, ainsi que de 0,6 à 2,6 % de minéraux (potassium, calcium, manganèse, magnésium, fer, sodium, aluminium, phosphore ou encore de soufre) [13]. Si la composition de ces balles évolue selon les espèces de riz, certaines teneurs changent également en fonction de la nature des sols et du climat [14].

Loin devant d’autres cosses, comme celle du blé, ou d’autres parties de la plante de riz, la balle de riz est le déchet de biomasse qui contient la plus grande quantité de silice avec environ 210 g de silice par kilo de cosse [5]. Principal constituant inorganique de ce type de balle, la silice est extraite du sol par les plants de riz [1], puis stockée sous forme de petites particules de 50 nanomètres (des milliardièmes de mètres). Ces particules sont alors reliées entre elles par des fibres de cellulose – un composant de la lignocellulose –, dans la partie externe de la cosse [2]. L’objectif est de protéger les grains de riz des agents extérieurs, que ce soit des conditions climatiques défavorables, des parasites ou d’autres agents pathogènes [3].

Cette silice, présente en grande quantité dans la balle de riz, pourrait être utilisée comme matière première pour différents usages. Son accessibilité et son abondance ont conduit de nombreux chercheurs à étudier les moyens les plus économiques, écologiques et simples d’extraire une silice de haute pureté de ces cosses. Aujourd’hui, deux méthodes sont couramment utilisées : la calcination et la pyrolyse.

La calcination ou l'extraction de la silice par le feu

Lors de la calcination, la balle de riz est soumise à de hautes températures allant de 600 à 700 °C en présence d’oxygène. Ce dernier agit comme un agent oxydant venant consommer les cosses, qui, servant de combustible, finissent par être dégradées en dioxyde de carbone (CO2) en laissant derrière elles des cendres. Si aucun traitement n’est appliqué à la balle de riz avant la calcination, les cendres obtenues sont des silices de faible pureté, non poreuses, parfois en partie cristallisées – à cause de la présence des minéraux. Grâce à un traitement chimique acide de la balle de riz, permettant de les éliminer, il est possible d’obtenir une silice de haute pureté après calcination. Cette dernière est poreuse et les particules qui la composent ressemblent à des framboises. Le type de traitement acide ainsi que les conditions de température et de vitesses de chauffage du procédé ont une influence sur la pureté, la couleur, ainsi que sur la porosité de la silice récupérée [13]. La chaleur produite tout au long de ce processus est réutilisée, grâce à des échangeurs, pour générer de la vapeur ou pour des opérations de séchage, ce qui permet une démarche d’économie [13].

La pyrolyse : la technique au meilleur rendement

La pyrolyse est un processus thermochimique qui consiste en la dégradation de la lignocellulose, présente dans la biomasse et décrite comme polymère pour sa formation en grandes chaînes de grosses molécules [15]. C’est une méthode d’utilisation durable de ce type de déchets, car ils se décomposent sans combustion, dans un environnement sans oxygène et généralement en présence d’azote, à des températures entre 600 et 800 °C. Son recours permet d’obtenir les trois états de la matière: les cendres (solide), la bio-huile composée d’un mélange d’eau et d’huile organique (liquide) et enfin les gaz non condensables (gazeux) [16]. Le procédé peut être utilisé pour valoriser la balle de riz [6][7], et notamment les cendres de pyrolyse de ces cosses, composées de silice et de carbone. Après calcination (sous oxygène) de ces mêmes cendres, et si les balles de riz ont été préalablement traitées à l’acide, il est possible de récupérer une silice de haute pureté et légèrement plus poreuse que celle produite par calcination directe [9][10]. Le rendement du procédé devient très avantageux car il permet d’avoir en un seul processus, la bio-huile et la silice !

Mais quel est l'avantage de récupérer cette bio-huile ?

Les bio-huiles contiennent plusieurs espèces réactives à la fois liquides et gazeuses, en d’autres termes des molécules qui peuvent être consommées pour générer de l’énergie [17]. Également connues industriellement sous le nom de goudron, elles présentent néanmoins quelques différences avec celui-ci. Leur usage devient très intéressant car elles pourraient constituer un substitut potentiel à ce type d’énergie non renouvelable, notamment sous forme de biocarburant [18]. Cependant, les bio-huiles contiennent beaucoup d’oxygène et un traitement visant à éliminer ces éléments, appelé hydrodéoxygénation (HDO), est nécessaire avant de pouvoir s’en servir comme biocarburant.

Et les intérêts de la silice dans tout ça ?

La silice est un matériau aux caractéristiques très attractives pour des applications multiples. Pur, c’est un ingrédient qui entre dans la composition du ciment, dans la formulation des dentifrices ou encore dans celle des polymères, comme les pneumatiques [12] où il renforce leur tenue mécanique. La silice sert aussi de support pour des catalyseurs ou des biocatalyseurs – comme les enzymes – : des substances dont le rôle est d’augmenter la vitesse de réaction d’un processus sans pour autant être consommées. Elle peut également servir à la fabrication de nombreux matériaux, comme les zéolithes, des minéraux largement utilisés dans la fabrication de catalyseur pour le raffinage du pétrole ou des biocarburants, et dans des processus d’adsorption, séparant des gaz de l’air en fixant ceux-ci à sa surface. Enfin, la silice peut aussi être un vecteur de médicaments en nanomédecine, ou encore servir à la dépollution des eaux.

Ces champs d’application sont assurés par des composés chimiques présents à la surface de ce matériau, appelés silanols. Ces composés sont définis comme des groupes dits « fonctionnels », car ils permettent de donner des capacités – ou fonctions – aux matériaux sur lesquels ils sont présents, notamment en y attachant d’autres groupes chimiques ou molécules. Cette particularité présente de nombreux intérêts dans le cas de la silice car il est ainsi possible d’augmenter l’affinité du matériau envers des éléments spécifiques (tels que des métaux), d’autres molécules (comme des protéines) [19], ou encore de produire des catalyseurs ou adsorbants spécifiques. La présence des silanols lui offre naturellement une affinité pour les composés hydrophiles, autrement dit, elle a une attirance pour les molécules qui aiment l’eau. En effet, une fois dans l’eau, les silanols perdent un proton. La silice porte alors une charge négative, ce qui la rend très attractive pour piéger des molécules hydrophiles chargées positive- ment. Cette capacité à piéger des molécules à charge positive est due à la combinaison de la présence de ces silanols et de la nature poreuse de la silice. On dit que la surface est mésoporeuse car les pores, les petits trous à sa surface, mesurent entre 2 et 50 nanomètres de diamètre. Grâce à leur forme en petits entonnoirs, profonds de 5 à 15 nanomètres, ils peuvent y garder piégées des molécules qui, attirées par les silanols, y auraient pénétré. Selon l’usage visé, il est d’ailleurs possible de jouer sur leur taille pour en attraper des molé- cules plus ou moins grosses. De nombreux contaminants que l’on retrouve dans l’eau polluée, comme des molécules pharmaceutiques, des pesticides [11] ou encore certains métaux, sont eux-mêmes hydrophiles ce qui les rend ainsi susceptibles de se retrouver pris au piège dans la silice. L’affinité de la silice pour certains polluants, notamment les métaux, pourrait encore être augmentée par l’ajout de groupes fonctionnels spécifiques à sa surface privilégiant une attirance vis-à-vis d’eux [20]. L’utilisation de la silice comme adsorbant pour la purification de l’eau est donc un concept prometteur.

Dans le cadre de l’élimination des métaux, l’affinité de la silice pour les composés chargés positivement est cruciale. Les effluents industriels, en particulier ceux issus de processus tels que la fabrication de batteries, contiennent souvent des métaux précieux. Leur valorisation, en utilisant la silice comme adsorbant, présente une opportunité d’évoluer vers une économie circulaire. Ceux de la famille des terres rares, connus pour leur utilisation dans diverses applications de haute technologie comme les écrans, les batteries ou encore les disques durs, sont souvent difficiles à obtenir et à extraire. Par conséquent, la capacité à récupérer ces métaux à partir des déchets industriels répond non seulement aux préoccupations environnementales, mais contribue également à la durabilité des ressources.

En résumé, l’affinité de la silice pour les composés hydrophiles chargés positivement offre une méthode polyvalente et efficace pour purifier l’eau. De plus, la récupération des métaux précieux à partir des effluents industriels pourrait améliorer considérablement les méthodes actuelles de traitement de l’eau et contribuer aux efforts de conservation de l’environnement et de récupération des ressources. Aujourd’hui, c’est le cœur du projet de recherche Circuballe qui, par la valorisation des déchets du riz simultanément dans l’utilisation de la bio-huile comme bio-carburant et dans le traitement des eaux par la silice, entend développer la pyrolyse de la balle de riz comme un nouveau mode d’économie circulaire.

Bibliographie

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Modifié le 02/12/2024

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