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Améliorer la nutrition des truites arc-en-ciel d'élevages pour la rendre plus eco-responsable : une solution prometteuse

Parmi les nombreuses possibilités envisagées (protéines d’insectes, de levure, de microalgues…), les protéines végétales apparaissent comme une des solutions les mieux adaptées pour répondre aux enjeux actuels de la filière aquacole. Cependant, la croissance et la santé des poissons nourris avec un aliment intégralement fabriqué avec des protéines végétales sont affectées. Différentes raisons peuvent expliquer ces effets négatifs, mais leur faible qualité nutritionnelle constitue un élément important du problème. Pour comprendre pourquoi elles sont dites de moins bonne qualité que les protéines animales, il est important de commencer par expliquer ce qu’elles sont et ce qui les constitue.

Pour schématiser, disons qu’une protéine peut être vue comme un collier constitué de différentes perles lui donnant sa forme et sa longueur. Dans le cas d’une protéine, il s’agit d’un enchaînement de plusieurs centaines de petites perles liées entre elles, appelées les acides aminés. Ces derniers ne sont pas tous identiques et peuvent être classés en deux grandes catégories. D’un côté, il y a ceux qui sont dits essentiels, mais dont l’organisme ne sait pas assurer la production en quantité suffisante pour maintenir ses fonctions cellulaires et physiologiques, et qui doivent donc être apportés par l’alimentation afin de couvrir ses besoins métaboliques. De l’autre, se trouvent les acides aminés dits non essentiels, qui peuvent être produits par l’organisme lui-même en utilisant souvent les acides aminés essentiels comme molécules de départ.

Les protéines animales contiennent plus d’acides aminés essentiels que les protéines végétales, autrement dit, à quantité identique ingérée, leur apport sera bien plus faible dans le cas de la consommation des protéines végétales qu’animales. Sachant que les truites ont naturellement besoin d’un très haut apport en protéines alimentaires (trois fois plus que chez l’être humain), ce déséquilibre en acides aminés essentiels a de nombreuses répercussions néfastes sur sa croissance et sa santé. Pour pallier ce problème, et ainsi continuer à inclure davantage de protéines végétales dans l’alimentation des truites, les professionnels du secteur rééquilibrent désormais la composition de leurs aliments en y ajoutant des formes purifiées (sans autre substance) des acides aminés essentiels manquants. Bien que cette pratique ait montré des améliorations significatives pour les performances de croissances des truites d’élevage, elle n’a cependant pas permis de remplacer en totalité les farines de poissons par des protéines végétales, sans qu’il ne subsiste des effets délétères pour les poissons. Parmi ses effets, les chercheurs ont noté que les poissons nourris avec des régimes alimentaires à base de protéines végétales présentaient des dérégulations au niveau moléculaire [1][2]. Pour savoir si ces dernières pouvaient être causées par une mauvaise absorption des acides aminés alimentaires, et notamment ceux apportés sous leurs formes purifiées, ils ont décidé de creuser cette piste.

Premièrement, il s’agissait de comprendre comment les acides aminés sont absorbés chez la truite. Il est connu de longue date que, par leurs propriétés physico-chimiques, ceux-ci  entrent  dans  les  cellules  qui composent l’organisme en empruntant des portes spécifiques appelées transporteurs d’acides aminés. Pourtant, aucune étude n’avait été réalisée chez la truite afin d’identifier et caractériser  ces  transporteurs, alors même que chez d’autres espèces, et notamment chez les mammifères, il avait été démontré leur rôle clef dans de très nombreux processus physiologiques mais aussi pathologiques. Le travail a donc débuté par la recherche et l’identification, dans l’ADN des truites, de tous les gènes codant pour des transporteurs d’acides aminés. Les premiers résultats obtenus furent particulièrement stimulants. En effet, plus de 150 transporteurs différents ont pu être mis en évidence chez la truite, alors même que chez l’homme on n’en compte qu’un peu plus de 70. Face à ce grand nombre, les scientifiques ont décidé dans un premier temps de focaliser leurs recherches sur un sous-groupe de transporteurs en charge de l’absorption de deux acides aminés dits cationiques, possédant une charge électrique positive à pH neutre, à savoir la lysine et l’arginine. Ce choix a été principalement motivé par le fait qu’il s’agit de deux acides aminés essentiels, sous- représentés dans les protéines végétales, et pour lesquels l’ajout, sous leurs formes purifiées, doit fréquemment être effectué dans les aliments pour les truites.

Pour poursuivre l’étude, l’équipe de recherche a choisi de mettre en place une approche scientifique originale dans le domaine de la nutrition des poissons d’élevage, à savoir la culture de lignées cellulaires de truite. Il s’agit de cellules dites immortalisées, ou transformées, et qui ont une capacité à proliférer quasiment infinie. Certaines lignées cellulaires ont été établies en culture, dans des petites boîtes, il y a plus de 60 ans et continuent d’être utilisées actuellement dans les laboratoires. Leur utilisation possède deux intérêts principaux. Tout d’abord, les conditions de croissance des cellules sont parfaitement maîtrisées, ce qui permet notamment de contrôler qualitativement et quantitativement les nutriments apportés aux cellules pour leur développement. Ainsi, en cultivant les cellules dans des milieux contenant tous les acides aminés, ou à l’inverse dans des milieux dépourvus d’un seul acide aminé (comme l’arginine ou la lysine), il est possible d’étudier précisément les fonctions cellulaires altérées par cette carence ainsi que les dérégulations associées. Le second avantage de cette pratique réside dans la réduction de l’expérimentation animale, en accord avec la règle des 3R (Réduire, Remplacer, Raffiner), marqueurs moléculaires identifiés dans les précédentes études, dont ce type de transporteurs, correspondent effectivement à des marqueurs d’une carence en acide aminé. De même, cette étude a mis en évidence qu’une carence en lysine et/ou en arginine stimule les processus cataboliques cellulaires, c’est- à-dire les processus de dégradation, et inhibe les processus anaboliques, soit les processus de synthèse permettant une production de cellules. Cette régulation du métabolisme par les acides aminés se fait par l’intermédiaire de plus en plus sollicitée par la société pour des raisons éthiques. Ainsi, l’utilisation de lignées cellulaires a permis de conduire un grand nombre d’expériences, à partir desquelles des connaissances fondamentales ont été accumulées et cela sans avoir besoin de recourir à l’expérimentation animale.

Après avoir démontré la pertinence d’utiliser des lignées cellulaires de truite pour étudier le métabolisme des acides aminés chez cette espèce [3], ces expériences dites in vitro ont été poursuivies en se focalisant sur les régulations des transporteurs d’acides aminés cationiques par les nutriments. Grâce à cela, les chercheurs ont pu confirmer que les de voies, dites de signalisation, qui détectent leur présence ou leur absence, et orientent en fonction de cela les processus cellulaires vers le catabolisme ou vers l’anabolisme.

Finalement, les chercheurs ont engrangé des connaissances fondamentales, en particulier sur le fonctionnement des transporteurs d’acides aminés dans les cellules de truite. À partir de cela, ils ont émis l’hypothèse qu’il était possible de stimuler spécifiquement l’absorption des acides aminés cationiques ajoutés sous forme libre dans les aliments constitués de protéines végétales. Concrètement, il s’agissait de modifier la recette initiale de l’aliment de façon très marginale en apportant un autre petit acide aminé, appelé glycine. En ajoutant cette dernière sous forme libre dans l’aliment, l’objectif était de stimuler l’activité d’un transporteur spécifique d’acides aminés cationiques, tout en permettant une meilleure absorption de ceux supplémentés. Ainsi, les chercheurs espéraient améliorer son efficacité alimentaire. Après avoir nourri des  truites  durant  21  semaines  avec  un aliment végétal classique supplémenté ou non en glycine, ils ont pu constater que les compléments  d’acides  aminés  cationiques étaient bien mieux assimilés (entre 30 % et 100 % d’augmentation de la concentration sanguine respectivement en lysine et arginine) chez les poissons nourris avec le régime enrichi en glycine. L’hypothèse selon laquelle il serait possible de mieux piloter l’absorption des acides aminés alimentaires chez la truite était validée et cela grâce aux connaissances fondamentales  acquises, in vitro, sur  les transporteurs. Mieux encore, en mesurant la quantité d’aliments consommés au cours de l’expérience, il est apparu que les poissons alimentés avec le régime supplémenté en glycine avaient consommé significativement moins d’aliment (8 % de moins), alors qu’ils avaient grandi à la même vitesse et attei- gnaient le même poids final. Cela signifiait donc que les poissons avaient globalement fait une meilleure utilisation métabolique de l’aliment enrichi en glycine. Ainsi, cette nouvelle stratégie de formulation, publiée dans la revue scientifique internationale iScience [4], démontre tout son potentiel pour améliorer la nutrition des poissons d’élevage tout en diminuant la consommation des ressources naturelles associées.

Il s’agit là d’une étude pionnière dans le domaine de la nutrition des poissons d’élevage par le développement d’une approche scientifique innovante: la culture de lignées cellulaires. Elle a également permis l’émergence d’une nouvelle thématique scientifique avec l’étude des transporteurs d’acides aminés. Au-delà des connaissances fondamentales obtenues, ce projet apporte des solutions aux enjeux sociétaux ainsi qu’à ceux de la filière piscicole, et cela en accord avec les grands objectifs scientifiques et les missions interdisciplinaires fixées par les organismes de tutelle de l’unité.

Cette étude a été conduite dans le cadre du projet de recherche « Les transporteurs d’acides aminés cationiques chez la truite – CAAT- TROUT » (ANR-19-CE20-0003), porté par Florian Beaumatin, Maître de conférences à l’UPPA. Il a fait l’objet d’un financement « Jeunes chercheuses-Jeunes Chercheurs » attribué pour quatre ans par l’Agence nationale de la recherche (ANR).

Bibliographie

[1] Callet T., Dupont-Nivet M., Cluzeaud M., Jaffrezic F., Laloë D., Kerneis T., Labbé L., Quillet E., Geurden I., Mazurais D., Skiba-Cassy S., édale F. (2018), « Detection of new pathways involved in the acceptance and the utilisation of a plant-based diet in isogenic lines of rainbow trout                                          fry », PLOS One, 13, e0201462.

[2] Balasubramanian M. N., Panserat S., Dupont-Nivet M., Quillet E., Montfort J., Le Cam A., Medale F., Kaushik S. J., Geurden I. (2016),
« Molecular pathways associated with the nutritional programming of plant-based diet acceptance in rainbow trout following an early feeding exposure », BMC Genomics, 17, 449.

[3] Morin G., Pinel K., Dias K., Seiliez I., Beaumatin F. (2020), « RTH-149 Cell Line, a Useful Tool to Decipher Molecular Mechanisms Related to Fish Nutrition », Cells, 9, 1754.

[4] Morin G., Pinel K, Heraud C., Le-Garrec S., Wayman C., Dias K., Terrier F., Lanuque A., Fontagné-Dicharry S., Seiliez I., Beaumatin F. (2024),
« Precision formulation, a new concept to improve dietary amino acid absorption based on the study of cationic amino acid transporters », iScience, 27, 108894.

[5] Vélez E.J.et al. (2024), « Chaperone-mediated autophagy protects against hyperglycemic stress », Autophagy, 20 (4). doi:10.1080/15548627.2023.2267415.

[6] Pinel K. et al. (2022), « Are the Main Methionine Sources Equivalent? A Focus on DL-Methionine and DL-Methionine Hydroxy Analog Reveals Differences on Rainbow Trout Hepatic Cell Lines Functions », International Journal of Molecular Sciences, 23, 2935.

Modifié le 02/12/2024

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