La pollution au mercure est considérée aujourd’hui comme un problème environnemental majeur. En raison de son extrême toxicité, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a récemment inclus le mercure parmi les dix composés chimiques les plus préoccupants pour la santé publique [2]. Chez l’Homme, l’alimentation est considérée comme la principale voie d’exposition au mercure, notamment à cause de la consommation de poissons et de fruits de mer. Dans ces derniers, le mercure est principalement présent sous une forme organique, encore plus toxique: le méthylmercure. Les taux de méthylmercure sont biomagnifiés à travers la chaîne trophique. Autrement dit, ils s’accroissent progressivement dans les organismes, entraînant en conséquence de graves effets sanitaires, environnementaux et sociaux pour les humains. Parallèlement, l’aquaculture est progressivement devenue une industrie alternative à la pêche permettant de fournir des produits de la mer, en particulier des poissons. Sa capacité de rendement lui a d’ailleurs permis de démontrer son rôle crucial dans la réponse aux enjeux de sécurité alimentaire mondiale. Avec 8 % d’augmentation annuelle au cours des dix dernières années, il s’agit sans conteste de l’une des industries du secteur alimentaire connaissant le taux de croissance le plus important [1]. Ce développement rapide a conduit à une demande accrue d’aliments dits aquacoles, destinés à l’alimentation des poissons d’élevage, et par conséquent, cela a créé des besoins, en recherche et développement, d’alternatives durables à la pêche minotière pour que soient fournis des ingrédients pour ces mêmes aliments. La gestion de l’aquaculture est actuellement confrontée à l’un des plus grands défis mondiaux, si l’on considère que d’ici 2050, plus de 9 milliards de personnes devraient être nourries dans un contexte de changement climatique, d’incertitudes économiques et financières, et de pression croissante sur les ressources naturelles. En réponse à cela, les États membres de l’ONU ont mis en œuvre l’Agenda 2030 pour le développement durable qui fixe des objectifs de contribution et de conduite de la pêche et de l’aquaculture pour la sécurité alimentaire et la nutrition.

Consommer les poissons jusqu'aux dernières arêtes
Dans l’industrie, les coproduits de conserveries de poissons correspondent à la tête, aux viscères, à la peau, aux arêtes, ou encore aux écailles. Ils constituent un ensemble de parties crues ou cuites qui ne sont généralement pas valorisées et qui finissent par être éliminées, alors même qu’ils équivalent parfois à 70 % du poisson transformé. Ces restes non commercialisés de poissons sauvages, comme le thon, représentent une source importante de nutriments pour l’alimentation aquacole en raison de leur richesse en minéraux, en protéines, et en lipides (la matière grasse).
Le principal inconvénient à l’utilisation des coproduits de poisson, et de thon en particulier, comme farine de poisson alternative, est leur teneur potentiellement élevée en métaux lourds tels le mercure, pouvant entraîner des effets négatifs sur la santé humaine. Cependant, les coproduits de thon contiennent également des niveaux élevés de sélénium. Il s’agit d’un élément essentiel pour l’ensemble des organismes vivants, et largement évoqué pour compenser les effets de la toxicité du mercure. Bien que les voies métaboliques et l’interaction de ces deux éléments dans les organismes vivants ne soient pas entièrement comprises, l’idée de pouvoir utiliser ces coproduits, comme une alternative durable pour l’alimentation aquacole, a poussé les chercheurs et chercheuses à s’intéresser à la question.
L'aquaculture au cœur des thématiques de recherches
Les objectifs des recherches menées sur ce sujet à l’IPREM (Institut des Sciences Analytiques et de Physico-Chimie pour l’Environnement et les Matériaux, UMR 5254 CNRS-UPPA) sont doubles. Tout d’abord, elles visent à approfondir la compréhension du devenir du mercure et du sélénium dans des organismes clés, puis, dans un second temps, à apporter des réponses aux questions sur la valorisation potentielle, en aquaculture, des coproduits de thon en lien avec leur teneur en mercure. La méthodologie pour atteindre l’objectif mentionné repose sur la caractérisation et le suivi des principaux composés de mercure et sélénium dans les organes des poissons par des stratégies d’analyse de pointe, combinées à des études toxicologiques et de nutrition animale. La truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss), un poisson modèle de l’aquaculture, a été utilisée dans cette étude [4][5]. Avec le saumon, elle représente la principale espèce aquatique mondiale du point de vue de sa valeur commerciale [2]. Elle est également l’espèce de poisson la plus produite en France (2e producteur européen), notamment en Nouvelle-Aquitaine. Dans cette étude, la truite arc-en-ciel a été exposée par voie alimentaire au mercure et au sélénium dans des conditions contrôlées pendant six mois. Douze régimes alimentaires ont été testés, résultant de la combinaison de différentes espèces de mercure et de sélénium (donc sous différentes formes chimiques), communément présentes dans le poisson et les coproduits de thon. A ainsi été étudié l’effet du sélénium sur la bioaccumulation du mercure dans la chair, partie comestible, mais aussi dans d’autres organes clés, tels que le cerveau et le foie.
Mercure et sélénium, un équilibre qui se tient
Cette recherche a été réalisée grâce à une collaboration étroite avec Stéphanie Fontagné-Dicharry, spécialiste de la nutrition des poissons à l’INRAE, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, à Saint-Pée-sur-Nivelle. Dans ce cadre, plus de 700 échantillons de truites arc-en-ciel comprenant le muscle, le foie, le rein, le cerveau et le sang, ont été analysés au cours d’une étude dite cinétique, qui vise à évaluer l’influence du sélénium sur la répartition, la bioaccumulation, et la toxicité du mercure dans ces organismes. Les résultats ont montré que l’alimentation à base de coproduits de thon entraîne une teneur en mercure dans la chair des truites, inférieure au seuil de sécurité établi par la Commission européenne. Par conséquent, leur consommation ne présenterait pas de risque particulier sur ce point pour la santé humaine. Cette recherche approfondie met en lumière le rôle potentiel des espèces de sélénium (naturellement présentes dans les coproduits de thon) dans la réduction efficace de la bioaccumulation du mercure. Cette étude multidisciplinaire contribue à la compréhension de l’interaction entre les espèces de mercure et de sélénium dans les organismes, en particulier chez le poisson. De plus, elle constitue une base solide pour l’évaluation des coproduits de thon en vue de leur utilisation potentielle en tant qu’alternative durable aux ingrédients à base de poissons sauvages utilisés dans les aliments aquacoles. Les résultats obtenus sont prometteurs, mais les recherches doivent se poursuivre. Pour élargir les connaissances sur le devenir et l’interaction du mercure et du sélénium, le groupe de scientifiques a déplacé ces questions fondamentales vers de nouveaux horizons, tels que les poissons et les populations riveraines de l’Amazonie brésilienne... Mais cela est une autre histoire.
Cette étude a été conduite dans le cadre du projet de recherche « Repousser les limites de la spéciation pour l’étude du mercure et de sa détoxication par le sélénium dans des organismes clés – MERSEL (ANR-18-CE34-0004) » porté par Zoyne Pedrero Zayas, directrice de recherche CNRS à l’IPREM. Il a fait l’objet d’un financement « Jeunes chercheuses-Jeunes Chercheurs » attribué pour quatre ans par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Ces travaux ont également reçu un financement du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne dans le cadre de l’accord de subvention Marie Skłodowska-Curie numéro 101007962, « MERFISH: Health-benefit understanding of mercury-selenium interactions from fish to human ».
