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Les maisons d'écrivains : un patrimoine au service de la littérature

Découvrir un écrivain à travers le lieu où il a vécu : à l’heure où se développe le tourisme littéraire, de nombreux visiteurs apprécient cette expérience quelque peu paradoxale. Ne s’agit-il pas en effet d’aller vers la littérature, non par l’intermédiaire du livre comme on le fait traditionnellement, mais par le biais d’une maison, d’un château, d’un jardin, d’un paysage qui entretiennent des liens étroits avec un auteur ou une autrice? Expérience paradoxale certes, mais susceptible de réconcilier avec l’univers littéraire un public pour qui la seule lecture ne suffit pas ou même à qui elle fait peur. Il en va donc de la démocratisation de la culture, enjeu crucial pour les sociétés contemporaines.

Les maisons d'écrivains en Nouvelle-Aquitaine

Une équipe de chercheurs, au sein du laboratoire ALTER a décidé de se saisir de cette question et d’étudier les maisons d’écrivain situées sur le territoire de la région Nouvelle-Aquitaine qui dispose d’un patrimoine particulièrement riche et diversifié dans ce domaine. L’originalité de cette recherche, financée par la région Nouvelle-Aquitaine, est d’associer des universitaires (de Pau mais aussi de l’Université Bordeaux Montaigne) et des partenaires non académiques, dans le cadre de ce qu’on appelle un programme de science participative. Le principal partenaire est l’association MEPLNA (Maisons d’écrivain et Patrimoines littéraires en Nouvelle-Aquitaine), réseau qui réunit l’ensemble des responsables de sites ouverts au public.

L’objectif premier de la recherche est d’établir une typologie de ces espaces extrêmement différents les uns des autres. La maison d’écrivain peut être une modeste habitation ou une demeure luxueuse. Tantôt urbaine, tantôt rurale, elle peut être le lieu de naissance, de résidence, voire de sépulture de son propriétaire. Elle peut être un lieu familial hérité ou au contraire un lieu que l’écrivain a choisi, voire qu’il a lui-même fait construire, qu’il a meublé et décoré comme s’il s’agissait d’une œuvre d’art à part entière. La maison est alors une création architecturale qui s’ajoute à la création littéraire. Tel est le cas de la célèbre villa Arnaga que fit construire au Pays basque l’auteur de Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand, quand il était au sommet de sa gloire. Tel est aussi le cas de la très théâtrale maison de Pierre Loti à Rochefort, ou encore du spectaculaire domaine du Pourtaou en Chalosse, dans lequel le poète Jean Rameau exprima librement ses talents de peintre, de sculpteur et de décorateur.

Une maison qui ressemble à son artiste ?

Chaque maison est ainsi liée de manière singulière à l’artiste qui y a résidé. Véritable source d’inspiration, elle est souvent à l’origine de descriptions romanesques ou poétiques. François Mauriac, par exemple, ne cesse de parler de son domaine de Malagar dans ses romans : il transforme l’espace réel en fiction pour en faire le cadre des intrigues qu’il imagine. Ainsi, se promener aujourd’hui à Malagar, c’est comme entrer dans l’œuvre de Mauriac. Jean Giraudoux et Francis Jammes, eux aussi, ne se lassent pas de faire revivre dans leurs textes tel paysage d’enfance ou tel souvenir de jeunesse liés à des lieux dont la vie les avait éloignés. Parfois, l’espace d’habitation donne littéralement naissance à l’écriture, comme on peut le voir dans la tour de Montaigne, en Dordogne. Le philosophe composait ses livres dans sa « librairie » (bibliothèque) dont le plafond était – et est toujours – orné de citations en grec et en latin: l’auteur des Essais pouvait donc trouver l’inspiration directement en regardant ces phrases inscrites sur les poutres au-dessus de lui. La maison, ici, devient elle-même une sorte de livre au sein duquel l’écrivain travaille.

Mais dans d’autres cas, la maison peut aussi, de manière beaucoup plus triviale, être une source de revenus pour son propriétaire: Montesquieu dans son château de La Brède en Gironde gère un vaste domaine agricole qui lui permet de faire vivre sa famille et ses domestiques. Quant à Alfred de Vigny, au Maine Giraud en Charente, il veille sur la fabrication du cognac tout en écrivant certains de ses poèmes les plus fameux. Plus rarement, la maison est le lieu qui donne son nom à l’écrivain : Marguerite Donnadieu a ainsi choisi de troquer son patronyme contre le nom du village où se trouvait la maison de son père, Duras en Lot-et-Garonne. La naissance de l’autrice Marguerite Duras est passée par ce choix très symbolique.

Bien patrimoniaux ou « produits » touristiques ?

Au-delà de la réflexion typologique, cette recherche a pour but de réfléchir au rôle que ces maisons jouent à la fois dans l’espace public et dans la transmission de la littérature. Elles renouvellent notre façon d’envisager la culture dans la société d’aujourd’hui, en proposant une approche moins abstraite et plus « incarnée » [1]. Mais la démarche scientifique suppose d’envisager aussi les problèmes qui peuvent se poser. Chaque maison tend par exemple à donner une certaine image de l’artiste qui l’a habitée. Or celle-ci peut être trompeuse ou discutable. Ainsi quand on visite Arnaga, la somptueuse villa d’Edmond Rostand, on a l’impression qu’il s’agissait d’un écrivain très orgueilleux qui souhaitait éblouir ses contemporains par un déploiement de luxe. En réalité, Rostand était profondément dépressif et il a plutôt conçu cet espace comme un refuge loin des mondanités parisiennes. Autre écueil sur lequel il est nécessaire de s’interroger : les visiteurs sont parfois dans une démarche qui relève du pèlerinage, parce qu’ils ont du mal à dépasser la mythologie du « grand homme ». Avec les responsables de maisons d’écrivain, les chercheurs réfléchissent sur la meilleure façon de faire de la pédagogie, en combattant certaines idées reçues et en donnant envie de mieux connaître l’écrivain à travers ses livres [2].

La maison d'écrivain n'est pas un musée comme les autres

Travailler sur les maisons d’écrivain suppose par ailleurs de s’intéresser aux conditions concrètes dans lesquelles se déroule la visite. Est-elle libre, guidée ou semi-guidée, individuelle ou collective ? Combien de temps dure-t-elle? Quel est le coût du billet d’entrée ? Est-il possible pour des scolaires de bénéficier de visites spécifiques, voire d’activités en lien avec le programme de littérature ? Le site est-il accessible pour les personnes à mobilité réduite? Comment le parcours de visite est-il organisé ? Des outils numériques sont-ils utilisés ? Une visite virtuelle est-elle proposée ? Toutes ces questions peuvent paraître très matérielles, mais elles sont décisives. La maison d’écrivain n’est pas un musée comme les autres [3]. Elle suppose qu’un contact privilégié s’établisse entre l’espace visité et le visiteur, surtout quand ce dernier ne connaît pas du tout, ou ne connaît pas bien l’auteur dont il découvre la demeure. Une maison d’écrivain est un lieu privé, intime, familial, qui a été transformé en lieu public. Cette dialectique entre origine privée et devenir public est au cœur de la problématique à laquelle doit répondre à sa façon chaque responsable de maison d’écrivain, en s’adaptant à la réalité géographique, historique, matérielle, architecturale et institutionnelle du lieu, mais également à la personnalité de l’artiste qu’il s’agit d’évoquer. Les questions économiques sont bien sûr fondamentales puisque la valorisation de chaque maison dépendra du budget dont elle dispose. Elle reposera aussi sur le statut juridique du site, qui peut appartenir à des propriétaires privés, à une association, à une municipalité, à une collectivité locale ou à l’État. Le chercheur devra donc s’intéresser aux rapports que la maison d’écrivain entretient avec ses tutelles et analyser son ancrage dans le territoire. Est-elle un « produit d’appel » touristique ou fait-elle partie des repères culturels de ceux qui vivent à proximité? Dans quelle mesure est-elle source de rayonnement pour une commune, une communauté d’agglomération, un département, voire une région? De quelle politique fait-elle l’objet en matière de communication, de publicité?

Comme on le voit, la maison d’écrivain est un domaine de recherche complexe, qui suppose de mobiliser des outils relevant de secteurs disciplinaires très différents. Mais il ne faut jamais perdre de vue sa finalité première : offrir une autre façon d’aborder la littérature, par une approche sensible, afin d’aider un large public, notamment scolaire, à se familiariser avec tel ou tel auteur et avec son œuvre.

La région Nouvelle-Aquitaine, par son patrimoine exceptionnellement riche, constitue un observatoire idéal pour étudier le passé, le présent mais aussi l’avenir de ces lieux très évolutifs. Régulièrement, certaines maisons doivent fermer leurs portes, d’autres au contraire ouvrent au public, et toutes se posent des questions, notamment sur la place qu’il convient d’accorder aux technologies numériques et à l’intelligence artificielle. C’est le rôle de la recherche universitaire d’accompagner ces évolutions, en partenariat avec les personnes qui gèrent au quotidien ces lieux si importants sur le plan culturel.

Bibliographie

[1] Casseville C., Cron É. (2015), Mauriac, Malagar et Johanet, Bordeaux, Éditions Confluences.

[2] Butor M. (1958), Le Génie du lieu, Paris, Grasset, coll. « Les cahiers rouges » (rééd. 2015).

[3] Ragot J.-C. (2020), « “Maison d’écrivain ou musée littéraire ?”, entretien avec Anna Luiza Rocha do Valle », dans J.-C. Ragot (dir.), La Valorisation des fonds littéraires. Maisons d’écrivain et recherche, Bordeaux, Éditions Confluences, p. 177-191.

Modifié le 04/02/2025

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