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L'arsenic : comment surveiller sa présence dans la ressource en eau ?

Mieux connaître l'arsenic

L’arsenic (As) est un métalloïde présent de manière ubiquitaire dans l’environnement terrestre, très majoritairement à l’état de traces, notamment dans l’eau, les sols et les sédiments. En France, il est particulièrement présent dans les territoires de montagnes, où les roches comme les granites, les gneiss ou les schistes, sont présentes (par exemple dans le Massif Central, le Massif armoricain, ou encore dans les Pyrénées). Sur le plan naturel, l’arsenic se trouve principalement sous forme de minéraux, et va être libéré lors de l’altération de ces derniers, ce qui peut se faire naturellement, sous l’action des conditions climatiques ou de microorganismes. Cependant, l’être humain peut grandement accentuer sa mobilité par ses actions comme l’exploitation minière, les travaux de terrassement ou le drainage des milieux humides. L’arsenic a pu être exploité en tant qu’élément chimique lui-même, pour la fabrication d’alliages ou de pesticides aujourd’hui interdits, mais il est souvent un résidu d’extraction d’autres composés comme l’or ou le tungstène [1].

Dans les eaux, l’arsenic se retrouve principalement sous deux formes chimiques : l’arsénite, As(III), et l’arséniate, As(V) [2, 3]. Leur répartition est en grande partie imposée par le potentiel d’oxydoréduction du milieu, autrement dit par la capacité du milieu à oxyder (perdre un électron) ou réduire (gagner un électron) une espèce chimique. En milieu aqueux, ce phénomène résulte des espèces chimiques donneuses ou accepteuses d’électron présentes. Cependant, l’activité des bactéries peut accélérer les réactions mises en jeu. Dans une rivière bien oxygénée, l’arsenic va être majoritairement sous forme oxydée As(V), alors que dans le fond d’une retenue ou dans une zone humide en basses eaux où les conditions sont anoxiques, c’est-à-dire sans dioxygène de l’air, la forme réduite d’As(III) est majoritaire. Si les conditions physico-chimiques du milieu aquatique changent, l’arsenic peut passer d’un degré d’oxydation V à III et vice versa (il peut donc regagner ou reperdre deux électrons). Dans certaines conditions, des microorganismes sont également capables de transformer ces formes minérales de l’arsenic en formes organiques plus complexes, par exemple des formes méthylées. Ces composés sont moins toxiques pour les organismes supérieurs (un être vivant complexe, composé de plusieurs cellules spécialisées comme les animaux ou les végétaux).

La toxicité de l’arsenic est principalement liée à son analogie chimique avec un composé essentiel au vivant : le phosphore. Cette ressemblance permet à l’arsenic de se substituer au phosphore lors de réactions au coeur des cellules des organismes, alors même qu’il empêche leur bon fonctionnement, le rendant ainsi potentiellement mortel. L’arsenic (III) est souvent reconnu comme étant plus toxique que l’arsenic (V). Aujourd’hui, le comportement géochimique particulier de ce métalloïde (multiplicité des états d’oxydation et fortes variations de mobilité et de toxicité) en fait un polluant prioritaire pour la protection des ressources en eau qui est intégré dans différents textes règlementaires (par exemple la directive européenne cadre sur l’eau 2000/60/CE, ou la directive européenne sur les eaux destinées à la consommation humaine 2020/2184).

La surveillance par une analyse chimique

Cette approche consiste à prélever un échantillon d’eau puis à déterminer sa teneur en arsenic. Elle se fait en laboratoire en utilisant des techniques d’analyse spectrométrique, comme la spectrométrie d’absorption atomique à four ou encore la spectrométrie de masse couplée à une torche à plasma [4].

Ces deux techniques consistent d’abord à transformer l’échantillon en atomes libres ou ions. Après cela, l’élément va être quantifié, soit grâce à sa capacité à interagir avec la lumière pour le spectromètre d’absorption atomique à four, soit par sa capacité à être ionisé puis séparé des autres ions selon le rapport masse/charge pour la spectrométrie de masse. Les spectromètres donnent lieu à la récupération d’un ensemble de signaux émis par l’échantillon qui vont alors être mis en parallèle avec une droite d’étalonnage. Cette droite représentant des mesures de référence permet, par comparaison, de déterminer la concentration en arsenic dans l’échantillon. Ces techniques classiquement employées en laboratoire d’analyses quantifient l’arsenic total dans les eaux, mais ne permettent pas de distinguer la forme III ou V de l’arsenic ou les formes organiques. Ce sont ces méthodes analytiques évaluant l’arsenic total qui sont employées pour les contrôles règlementaires, car les plus faciles à mettre en oeuvre.

Pour doser spécifiquement les formes réduites et oxydées de l’arsenic, il faut en amont les séparer grâce à une technique analytique appelée « chromatographie ». Le mélange est injecté dans une colonne contenant un matériau fixe qui va retenir les différents composés. Un solvant liquide, circulant dans la colonne, va entrainer les composants du mélange. Selon leur nature, ceux-ci se déplacent à des vitesses variées car ils sont retenus plus ou moins longtemps sur le matériaux fixe, ce qui permet alors de les séparer. À partir de là, il est possible de différencier l’arsénite de l’arséniate, mais aussi certaines formes organiques, en utilisant simultanément la chromatographie et la spectrométrie de masse. Cette méthode, plus complexe, n’est souvent pratiquée que dans les laboratoires de recherche.

En amont de l’analyse, il y a toute la problématique de l’échantillonnage. Il faut être vigilant à la bonne conservation des échantillons prélevés et à la réalisation d’une analyse dans un délai adapté, car, comme un aliment, l’eau prélevée à des fins d’analyse se périme ! Un prélèvement d’eau, appelé « échantillon ponctuel », donne la valeur de la concentration en arsenic au moment du prélèvement. Pour avoir une idée représentative de la teneur en arsenic des eaux et de son évolution, il faut réaliser plusieurs fois le prélèvement et l’analyse tout au long de l’année hydrologique. Il s’agit d’une période de 12 mois qui démarre généralement après le mois où les eaux sont les plus basses (appelé « étiage »). Durant cette année, la rivière va présenter des états différents, que ce soit en termes de débits ou de qualité, en fonction de la météo, de l’activité biologique ou de l’action humaine. Depuis une trentaine d’années, les chercheurs ont mis au point de petits dispositifs « espions » de quelques centimètres de diamètre immersibles que l’on peut laisser dans l’eau plusieurs jours à plusieurs semaines. Ces derniers vont servir à capter l’arsenic, proportionnellement à sa concentration dans le milieu aquatique [5]. Une fois exposés de deux à quatre semaines, ces « échantillonneurs passifs » sont ramenés au laboratoire pour analyse. Après démontage, l’arsenic accumulé par le dispositif est remis en solution (c’est-à-dire dissous dans un solvant liquide), puis analysé par les techniques décrites précédemment. Grâce à une formule de calcul simple et à la constante d’accumulation propre à cet élément chimique, la concentration moyenne en arsenic total ayant transité pendant la durée d’exposition de ce petit espion sera déterminée. Avec une phase fixante particulière à base de groupement thiol (un groupement chimique à base de soufre servant à fixer les métaux ou métalloïdes), employée dans l’échantillonneur passif, il est même possible de capter spécifiquement l’As(III) dans les eaux, ce qui permet d’avoir une information sur les formes chimiques présentes. Ces dispositifs permettent de mieux prendre en compte la variabilité des concentrations dans le temps, mais aussi d’améliorer les capacités de détection quand les éléments sont présents en très faibles concentrations. Cependant, ils ne permettent pas de détecter les pics de concentrations que peuvent enregistrer les prélèvements ponctuels. Le recours à ces derniers est pertinent à condition bien sûr de prélever au bon moment, ce qui arrive souvent quand plusieurs campagnes d’échantillonnage sont réalisées sur l’année hydrologique.

Les organismes aquatiques peuvent aussi nous aider à surveiller l'arsenic

L’utilisation d’organismes aquatiques, directement exposés dans le milieu, peut aider les chercheurs à rendre compte de l’état de la qualité des eaux naturelles. En amont, des études au laboratoire doivent être effectuées dans des conditions contrôlées, c’est-à-dire en sélectionnant et en contrôlant les conditions d’expositions des organismes choisis. Ces expérimentations permettent de définir et mesurer des variations de comportements cibles réagissant aux composés réputés toxiques. Elles favorisent aussi l’établissement des grandeurs de références permettant de caractériser l’état du milieu à partir du comportement des organismes aquatiques choisis.

Ainsi depuis près d’un demi-siècle, les mousses aquatiques, aussi appelées bryophytes, sont utilisées pour évaluer la qualité des milieux vis-à-vis de la présence des métaux et métalloïdes [6]. Pour cela, on peut se servir des bryophytes présentes naturellement dans la rivière. En cas d’absence de ces dernières, des individus prélevés dans des zones non impactées peuvent être déployés sur les sites d’études dans des cages, pendant généralement trois semaines. Une fois que les extrémités des tiges (les apex) des bryophytes sont extraites, ce matériel biologique est conditionné et analysé au laboratoire. Les teneurs en métaux ou métalloïdes fixées par les bryophytes vont être déterminées après séchage, broyage, digestion à l’acide et analyse chimique. Les valeurs trouvées sont comparées aux valeurs de références déterminées à partir des différentes études de laboratoire présentes dans la littérature scientifique. Pour interpréter les résultats, il faut cependant prendre plusieurs précautions. En effet, la capacité qu’a la plante aquatique à fixer l’arsenic peut être influencée par l’état physiologique et l’âge de l’organisme, l’époque du prélèvement ou divers paramètres physico-chimiques du cours d’eau.

Plus récemment, de petites crevettes aquatiques vivant dans nos eaux douces, les gammares, ont pu être utilisées pour évaluer la qualité des eaux, notamment leur concentration en micropolluants organiques ou minéraux comme l’arsenic [7]. Des gammares issues d’élevage en laboratoire sont mises dans des cages et déployées sur des sites à étudier. La capacité des individus à bien se nourrir a été analysée en donnant à une population de gammares une quantité connue de feuilles d’aulne durant le déploiement en rivière. À partir de cela, il a été possible de relier une baisse de la capacité d’alimentation des gammares à l’altération de la qualité de l’eau. Tout comme les bryophytes, l’aptitude des crevettes d’eau douce à accumuler les polluants durant leur exposition peut aussi être employée pour évaluer la présence et l’effet du contaminant. Comme toute utilisation de matériel vivant pour évaluer la qualité des eaux, il faut veiller à respecter les protocoles expérimentaux de références. Notamment pour les gammares, il est important d’avoir une minéralisation naturelle (c’est-à-dire la teneur totale en ions minéraux des eaux) suffisante pour éviter d’épuiser les individus à la recherche du calcium nécessaire à l’élaboration de leur exosquelette : leur carapace protectrice.

Conclusion

Différentes approches sont possibles pour déterminer la qualité des eaux vis-à-vis d’éléments chimiques pouvant l’altérer, comme l’arsenic. L’évaluation de la qualité d’une eau définit son aptitude à la vie aquatique, mais aussi aux usages humains comme celle destinée à la consommation humaine que l’on retrouve dans nos maisons pour boire, préparer nos aliments, se laver, etc. Les experts en charge de la surveillance de la qualité des eaux disposent d’une boîte à outils qui comporte des protocoles faisant appels à deux grands types d’approches : la recherche directe des éléments chimiques dans le milieu en utilisant des techniques d’échantillonnage et d’analyse adaptées, ou la recherche indirecte en évaluant l’effet des contaminants sur des organismes aquatiques. C’est souvent la combinaison de ces deux types d’approches qui fait la qualité du diagnostic, mais, quelles que soient les approches sélectionnées, il est primordial d’appliquer rigoureusement les protocoles expérimentaux, définis à la base par les travaux de recherche, pour obtenir les résultats d’analyse les plus fiables.

Financeur : Eau Grand Sud-Ouest (Agence de l’eau Adour-Garonne), Région Nouvelle-Aquitaine.

Remerciements : Les auteurs remercient l’aide technique et administrative apportée à la réalisation de différentes études, les agents de l’Agence de l’eau Adour-Garonne (Laurent, Iris, Jessica…), de l’Office français de la biodiversité (Luc, Christine…) et les personnels du laboratoire E2lim (Sophie, Karine, Emmanuelle, Lourdès , Thierry…).

Bibliographie

[1] Laperche V., Bodénan F., Dictor M. C. et Baranger Ph. (2003), Guide méthodologique de l’arsenic, appliqué à la gestion des sites et sols pollués, BRGM/RP-52066-FR, Bureau de recherches géologiques et minières.

[2] Sadee B., Foulkes M. E. et Hill S. J. (2015), « Coupled techniques for arsenic speciation in food and drinking water: a review », Journal of Analytical Atomic Spectrometry, 30, p. 102-118. DOI: https://doi.org/10.1039/C4JA00269E

[3] Patel K. S., Pandey P. K., Martín-Ramos P., Corns W. T., Varol S., Bhattacharya P. et Zhu Y. (2023), « A review on arsenic in the environment: contamination, mobility, sources, and exposure », RSC Advances, 13, p. 8803-8821. DOI : https://doi.org/10.1039/D3RA00789H

[4] Tanaka Yk., Matsuhashi K. et Ogra Y. (2025), « Analytical techniques for arsenic speciation », Analytical Sciences, p. 317-321. DOI : https://doi.org/10.1007/s44211-025-00722-y

[5] Poulier G., Lissalde S., Charriau A., Buzier R., Mazella N. et Guibaud G. (2018), « L’échantillonnage passif pour le suivi réglementaire de la contamination en pesticides des eaux de surface : intérêt et limites », Techniques – Sciences – Méthodes, 113, p. 83-103. DOI : https://doi.org/10.1051/tsm/201811083

[6] Ah-Peng C. et Rausch De Traubenberg C. (2004), « Bryophytes aquatiques bioaccumulateurs de polluants et indicateurs écophysiologiques de stress : synthèse bibliographique », Cryptogamie, Bryologie, 25, p. 205-248.

[7] AFNOR (2020), Norme XP T90-22-3, (octobre 2020). Qualité de l’eau – Mesures moléculaires, physiologiques et comportementales chez le gammare (crustacé amphipode). Partie 3 : Mesure du taux d’alimentation, AFNOR Éditions.

Modifié le 17/07/2025

DOI: https://doi.org/10.59655/nb52122995493